[i]Les geôles de Sion sont semblables à toutes celles du Royaume, le même confort plutôt sommaire : dalles suintantes d'humidité, glacées, litière de rares brins de paille moisie , pichet qui à un moment de son existence a pu contenir de l'eau et où le prisonnier maintenant urine, rats locataires à plein temps et satisfaits des commodités des lieux, vermine rampante, petit carré de ciel gris tout en haut d'un mur, presque inaccessible au regard.
La prison, Mahaud connaît. Multirécidiviste. Les tribunaux et les cellules, c'est là qu'elle passe le plus clair de son temps. Le plus souvent, elle purge sa peine en roupillant, attendant qu'on la remette en liberté. Seulement cette fois, c'est différent. Cette fois, il y a Musard. Son air, son eau, son Considérable Museau. Son âme et sa vie sont restées au 76 Rue de je sais plus quoi. Il lui manque tellement qu'elle a l'impression d'avoir un néant béant au milieu de la poitrine.
Elle est debout, bras croisés sur le ventre, alourdie par les boulets rivés aux chaînes de ses chevilles et fixe d'un air de dogue enragé le trousse-pet agrippé aux barreaux de la geôle. Il la dévisage depuis un bon moment déjà, en se curant le nez. De temps à autre il gobe une boulette de ce qu'il y a puisé. [/i]
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- Tu veux qu'on te peigne mon portrait ? Décampe sale morveux ![/b] [i]grogne Mahaud.
Le gamin ne bouge pas d'un pouce. [/i]
[b][color:742c=olive]- Mon 'pa il a dit qu'les gardes auvergnats i z'allaient venir t'chercher pour te pendre…[/color]
- Hé bien, ton père est un crétin qui dit n'importe quoi et l'Auvergne, il ne sait même pas où c'est ! [/b]
[i]Mahaud se demande quelles sont ses chances de rester en équilibre si elle lance un des boulets qu'elle a aux pieds contre la grille de la cellule, histoire de ficher une telle frousse à son petit public qu'il en chiera dans ses braies. Peut-être même que ça lui éclaterait le nez. [/i]
[b][color:742c=olive]- T'sais qu'on a pendu le gars qu'était ici avant toi ?[/color][/b]
[i]Mahaud hausse les épaules.[/i]
[b]- Quel veinard ! J'espère qu'on l'a pendu tout de suite à son arrivée pour lui éviter la conversation avec un petit merdeux bouffeur de crottes de nez … Fous le camp maintenant ! Laisse-moi tranquille.
[color:742c=olive]- Moi, j'lai vu quand il a clamsé ! I gigotait comme un lapin pris au collet. Ses jambes, a'les dansaient la gigue tout' seules ! et son cou l'a fait CRAAAAAC comme le bois sec qu'on fend l'hiver ! …[/color][/b]
[i]Que voulez-vous répondre à ça ? Que ses parents ont décidément de mauvaises méthodes éducatives ? Qu'à force de mater les pendus il finira lui-même au bout d'une corde ? Que l'ultime bandaison est une légende urbaine ?
Elle lève les yeux au ciel pendant qu'il enchaîne :[/i]
[b][color:742c=olive]- Pauv' couillon ! moi j'lai vu avec sa cuillère et son écuelle … i creusait là-bas dans le coin.[/color] [/b] [i]Le garçon pointe du doigt dans la direction de la paillasse. [/i] [b][color:742c=olive]Pauv' couillon ! Un trou trop pt'tit pour son gros cul ! peut-être une pomme on aurait fait passer …[/color] [/b]
[b][color:742c=darkblue]-[color:742c=#1ba6b8] AAAAAALBERT ! OU T'ES SALE VAURIEN ?[/color][/color][/b] [i]tonne la grosse voix du Père quelque part entre les murs de la basse-fosse.[/i] [b][color:742c=#1ba6b8]VIENS ICI ! Qu'ta mère al' a b'soin d'toi.[/color] [/b]
[b][color:742c=olive]- A d't'aleur ![/color][/b] [i]lance gaiement le petit Albert, fils de geôlier, futur geôlier lui-même. [/i][b] [color:742c=olive]C'moi qu'je t'portr'ai ta graille c'soir![/color] [/b]
[i]Restée seule, Mahaud médite. [b]" Il creusait là-bas…." [/b]Elle se traîne lourdement du côté de sa paillasse, s'accroupit, disperse
vivement la paille. Là, dans le sol, les dalles ont été descellées. Elle les soulève, inspecte davantage, ses doigts grattent. La terre à cet endroit est meuble. On peut y deviner une cavité comblée à la va-vite, la terre n'a pas été tassée. Ses premières estimations rejoignent celles d'Albert : on pourrait y passer une pomme. Une pomme dans un gros sac de pommes. Il faudrait retravailler un peu sur le chantier ...
Mahaud sourit . Sa décision est prise : ce soir elle sera aimable avec le petit Suisse.[/i]