[color:6ed2=orange][size=18][b]« Il était une fois, le Dodécalogue »[/b][/size][/color]
[size=14][b]( Six jours avant l’incendie de Gien )[/b]
[i]Mahaud s’était installée devant la masure où elle était hébergée moyennant une cinquantaine d’écus par semaine. Du vol ! Purement et simplement. Pour le grabat sur lequel elle couchait et la soupe pisseuse qu’elle avalait. Pour dix écus de plus, la vieille garce qui la logeait allait lui chercher de l’eau. Mahaud, heureusement, parvenait à se traîner jusqu’aux tavernes où elle passait du coup le plus clair de son temps.
Ses plaies avaient recommencé à la faire souffrir. La nuit avait été affreuse, passée à se tourner et se retourner sur la paillasse, à tenter vainement de trouver une position un peu moins inconfortable que les autres. Ce matin-là, elle avait les nerfs en pelote.
Le ciel était clair, le soleil chaud. La matinée s’annonçait belle. Assise sur un tabouret bourré d’échardes qui lui piquaient le cul, Mahaud était courbée sur sa jambe la plus amochée et elle avait entrepris de défaire les bandages, que les plaies respirent, pour y appliquer une décoction réputée cicatrisante et désinfectante à base de thym et de gentiane. Une ombre s’interposa entre le soleil et elle ; deux petits sabots grossiers de paysan entrèrent dans son champ de vision. Mahaud leva une main, les doigts fouettèrent l’air avec impatience.[/i]
[b]- Dégage ! [/b]
[i]Les sabots restèrent plantés au même endroit.
Mahaud releva la tête et dans le même temps, tendit le bras en direction de la canne histoire d’en appliquer quelques coups sur l’échine du porteur de sabots. Qui saisit sans doute l’intention puisqu’il recula aussitôt d’un pas. Il se tenait à contre-jour et Mahaud dut cligner des yeux pour distinguer davantage que sa silhouette noire. C’était une fille. Seize ans à peu près. Dix sept à tout casser. Crasseuse comme une ribaude. Couverte de poussière de la tête aux pieds. Des tresses hérissées de cheveux bruns mal peignés pendaient de part et d’autre de son visage long comme un jour sans fin. Pommettes saillantes, joues creuses. Maigre comme un clou. Son estomac devait être aussi vide que la caboche de l’ancien maire de Gien. Mais ses yeux ! Bon sang ! Deux lames bleues, dures, au regard tranchant. Rien de frêle ni de fragile dans ces yeux-là. [/i]
[b]- Qui es-tu ? [/b]
[color:6ed2=olive][b]- Sarrazine. Mon nom c’est Sarrazine. Fille de Jeanne la bâtarde et de Niels pieds plats. [/b][/color]
[b]- Hum … [/b] [i]fit Mahaud à qui ces noms ne disaient rien du tout[/i]. [b] Et tu veux quoi ? Si ce sont des écus tu peux aller te faire voir. Si c’est pour autre chose, il n’y a pas écrit « Dispensaire » sur mon …[/b]
[color:6ed2=olive][b]- Je suis venue te voir.[/b][/color] [i]interrompit-elle. Air buté. [/i]
[b]- « Me » voir ? [/b][i]Mahaud fronça un sourcil dubitatif.[/i] [b]On se connaît ? [/b]
[color:6ed2=olive][b]- Non...[/b][/color]
[i]Mahaud sentit sa patience fondre au soleil face à cette gamine revêche qui lâchait deux phrases à grand-peine. [/i]
[b]- Hé bien, Sarrazine fille de je ne sais plus qui, va t’en ! Tu es venue pour me voir ? Tu m’as vue. Maintenant, dégage. [/b]
[i]
La gamine avança son cou et son vilain petit museau vers Mahaud.[/i]
[color:6ed2=olive][b]- Dis …. C’est vrai qu’il mange des rats ?[/b][/color]
[b]- Hein ?[/b]
[color:6ed2=olive][b]- Le Dode … C’est vrai qu’il mange des rats ? [/b][/color]
[i]Mahaud sentit nettement les rouages de son cerveau enclencher un processus aigu d’alerte. Mais juste avant, pendant une fraction de seconde, ils bloquèrent net sur leurs essieux ! [/i]
[b]- Qui dis-tu ?[/b]
[color:6ed2=olive][b]- Le Dode …[/b][/color]
[b]- Tu … connais le Dode ?[/b]
[color:6ed2=olive][b]- Non ! [/b][/color]
[i]Et voilà que ça recommençait. Mahaud inspira profondément.[/i]
[b]- Tu ne connais pas le Dode ? Alors comment se fait-il que tu saches ce nom ? Qui t’en a parlé ? C’est quoi cette histoire à dormir debout ? Ecoute Sarrazine, j’ai mal à la jambe, j’ai passé une nuit de chiote, je suis épuisée. Si tu es venue me voir et si tu veux qu’on parle, il va falloir faire un effort et faire de vraies phrases avec quelque chose que je peux comprendre dedans …[/b]
[color:6ed2=olive][b]- Je connais pas le Dode, c’est vrai … c’est à dire … je l’ai pas vu suffisamment longtemps pour dire que je le connais … Il m’a juste dit : « Va trouver un de mes Cavaliers. Cette femme s'appelle Mahaud . Quand tu la verras, tu lui diras que je t’ai choisie pour porter mon bras là où les consciences doivent être touchées, les vérités révélées . ! » et puis il a dit un autre truc comme… « Tu es toi aussi l'un des béliers de mon troupeau »… ça veut dire quoi ? [/b][/color]
[b]- Et toi, quelqu’un que tu ne connaîs pas te dit d’aller trouver quelqu'un d'autre que tu ne connais pas non plus, tu prends tes cliques et tes claques et tu y vas aussi sec ? Comme ça ... Hop ! C’est ça ?[/b]
[i]Mahaud sentait la peau de son crâne rétrécir. La fille ne lui répondit pas tout de suite, se contentant de fixer sur elle l’acier bleu de son regard. Et puis elle pointa son petit index tout noir et tout crasseux en direction du Cavalier du Dode. [/i]
[color:6ed2=olive][b]- Oui … j’ai fait ça … parce que toi aussi tu le sais et toi aussi tu l’as fait…. quand le Dode te demande quelque chose tu ne peux plus refuser … alors oui, j’ai fait ça. [/b][/color]
[i]Elle marqua un temps avant de reprendre :[/i]
[color:6ed2=olive][b]- et il a dit aussi que tu devais m’enseigner des choses.[/b][/color]
[b]- Ah … Et quel genre de choses suis-je censée t’enseigner ?[/b]
[color:6ed2=olive][b]- Je sais pas … c’est toi qui sais, il a dit. Dis... c'est vrai qu'il mange des rats ? [/b][/color]
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